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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

pavillons éparpillés, à droite la montagne à la moitié de laquelle se trouve l’église toute noyée dans les arbres, plus loin le caveau de famille ; à gauche, la rivière, les champs, les arbres, l’espace. Et la pensée que tout cela est à nous, que nous sommes les maîtres souverains de tout cela et que toutes ces maisons, cette église, la cour, qui est comme une petite ville, tout, tout nous appartient, et les domestiques, presque soixante, et tout !…

J’attendis avec impatience la fin du dîner pour aller chez Paul, lui demander l’explication de quelques mots dits au croquet et qui me troublaient désagréablement.

— N’as-tu pas remarqué, me dit Paul, que Gritz est changé depuis hier ?

— Moi ? Non, je n’ai rien remarqué.

— Eh bien, moi j’ai remarqué et c’est à cause de Michel.

— Comment ?

— Michel est un bon garçon, mais il n’a jamais été qu’avec des femmes à souper et il ne sait pas se conduire ; de plus, il a une mauvaise langue, à preuve, l’histoire de l’autre jour. Il a dit qu’il voudrait… Enfin, il est amoureux fou de toi et capable de toutes les vilenies du monde. J’en ai parlé à l’oncle Alexandre et il a dit que j’aurais dû lui tirer les oreilles. La tante Nathalie est aussi de cet avis… Attends ! je te dis que Gritz a été persuadé par sa mère ou par ses connaissances qu’on ne cherchait qu’à l’attraper pour le marier, à cause de sa grande fortune. Eh bien, jusqu’à hier, il t’exaltait jusqu’aux cieux, et hier… Sans doute, je sais que tu ne veux pas de lui, tu ne te fiches pas mal (pardon pour l’expression) de tout cela, mais ce n’est pas bien. Et c’est toujours Michel qui a fait des commérages.