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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

pour moi, qui en quelques mois de vie de jeune fille n’ai eu que peu de plaisir et beaucoup d’ennuis.

L’art ! Si je n’avais dans le lointain ces quatre lettres magiques, je serais morte.

Mais pour cela on n’a besoin de personne, on ne dépend que de soi, et, si on succombe c’est qu’on n’est rien et qu’on ne doit plus vivre. L’art ! je me le figure comme une grande lumière là-bas, très loin, et j’oublie tout le reste et je marcherai les yeux fixés sur cette lumière… Maintenant, oh ! non, non, maintenant, mon Dieu, ne m’effrayez pas ! Quelque chose d’horrible me dit que… Ah ! non ! Je ne l’écrirai pas, je ne veux plus me porter malheur ! Mon Dieu… on essayera et si… C’est qu’il n’y aura rien à dire… et… que la volonté de Dieu soit faite !

J’étais à Schlangenbad il y a deux ans. Quelle différence !

Alors j’avais toutes les espérances ; à présent, aucune.

L’oncle Étienne est comme alors avec nous, et avec un perroquet comme il y a deux ans. La même traversée du Rhin, les mêmes vignes, les mêmes ruines, des châteaux, des vieilles tours à légendes…

Et ici, à Schlangenbad, de ravissants balcons, comme des nids de verdure, mais ni les ruines, ni les maisonnettes neuves et gentilles ne me charment. Je reconnais le mérite, le charme, la beauté lorsqu’il y a lieu, mais je ne puis rien aimer que là-bas.

Et d’ailleurs qu’y a-t-il dans le monde de comparable ? Je ne sais comment dire, mais les poètes l’ont assuré et les savants l’ont prouvé avant moi.

Grâce à l’habitude de porter avec moi « un tas de choses inutiles », au bout d’une heure je suis partout un peu comme chez moi ; mon nécessaire, mes cahiers, ma mandoline, quelques bons gros livres, ma chancel-