Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/522

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nuit, prit l’expression de désespoir fixe et morne qui lui était habituelle au repos.

— Ce serait mal de se tuer, dit Emmeline.

— Je n’en sais rien ; ce ne serait pas plus mal, en tous cas, que de faire ce que nous faisons tous les jours ; mais les religieuses m’ont dit, pendant que j’étais au couvent, des choses qui me font craindre de mourir. Si tout finissait là, oh ! alors… »

Emmeline se détourna, et voilà son visage de ses deux mains.

Tandis que cette conversation se passait en haut dans la chambre, au-dessous, Legris, dominé par l’ivresse, succombait au sommeil. Cet état ne lui était pas habituel. Sa grossière et musculeuse nature avait besoin d’excès, et supportait à merveille ce qui eût épuisé une constitution plus faible. Mais un instinct invétéré de prudence soupçonneuse l’empêchait de se livrer à ses appétits brutaux au point de perdre conscience de lui-même.

Cette nuit, cependant, ses efforts fébriles pour chasser de son esprit l’épouvante et le remords qui l’obsédaient, lui avaient fait dépasser les bornes ; et, dès qu’il eut congédié ses noirs serviteurs, il tomba pesamment sur un siège et s’endormit.

Oh ! comment l’âme mauvaise ose-t-elle aborder le monde fantastique du sommeil, empire dont les contours indécis touchent de si près aux mystères de l’autre vie ? Legris eut un rêve. Dans son lourd et fiévreux sommeil, il vit, debout à ses côtés, une forme vague qui posa sur lui une main froide et douce. Il lui sembla la reconnaître, et il frissonna d’horreur, quoique la figure fût voilée ; puis, il sentit la mèche de cheveux s’enrouler à ses doigts, se glisser doucement autour de son cou, et l’étreindre, — l’étreindre, jusqu’à ce qu’il en perdit le souffle. Il crut entendre des voix lui murmurer tout bas des mots pleins d’épouvante. Tout à coup, il se trouva sur le bord d’un abîme sans fond, criant et luttant, en proie à de mortelles