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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/68

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AURORA FLOYD

Prodder ne paraissait pas ajouter grande foi à ce dernier renseignement. La pensée que l’enfant de sa sœur avait donné des coups de cravache à son groom ne l’enthousiasmait pas positivement. Cet incident vulgaire ne cadrait pas exactement avec l’idée qu’il se faisait de la belle et jeune héritière, jouant de tous les instruments et parlant une demi-douzaine de langues.

— Oui, — reprit le jeune cocher, on dit qu’elle lui a administré la correction en conscience, et que je sois damné si je n’en éprouve pas de l’admiration pour elle.

— Bien, bien ! — répondit Prodder d’un air préoccupé. — M. Mellish ne boite-t-il pas un peu ? — demanda-t-il après un moment de silence.

M. Mellish ! — s’écria le cocher, que le bon Dieu vous bénisse, pas le moins du monde. M. Mellish est le plus bel homme que vous puissiez rencontrer dans ces parages et de beaucoup encore. Je le sais bien, moi qui l’ai vu si souvent venir chez nous, à l’époque des courses.

Le cœur du Capitaine éprouva une sorte de malaise en entendant ces mots. L’homme qu’il avait entendu se quereller avec sa nièce n’était donc pas son mari ! La querelle avait paru assez naturelle au marin, tant qu’il avait cru que la scène se passait entre mari et femme, mais considérée, d’un autre point de vue, elle faisait frémir son cœur peu sensible du reste, et pâlir les teintes très-accusées de sa face brûlée.

— Qui était-ce alors ? — se demandait-il ; — qui était l’homme auquel ma nièce parlait un tel langage… la nuit… seule… à un mille de sa maison ?

Avant qu’il eût trouvé une réponse à la question qu’il s’adressait et qui l’alarmait, la détonation d’un pistolet se fit entendre dans le bois, et trouva un écho sur les coteaux lointains.

Le cheval dressa ses oreilles, et fit quelques pas en avant ; le cocher fit entendre un sifflement sourd et prolongé.

— Des braconniers ! — dit-il. — Ce côté du bois fourmille de gibier ; et bien que M. Mellish menace toujours de les poursuivre, ils savent bien qu’il ne le fera jamais.