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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/69

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AURORA FLOYD

Le marin, fortement charpenté, doué de larges épaules, s’appuya tout tremblant au poteau du tourniquet.

Qu’avait dit sa nièce, il n’y avait qu’un quart d’heure, quand l’homme lui avait demandé si elle ne trouverait pas du plaisir à lui faire sauter la cervelle ?

— Laissez là votre cheval, — dit-il d’une voix étranglée ; — attachez-le à la barrière et venez avec moi. Si… si… ce sont des braconniers, nous les… nous les attraperons.

Le jeune homme enroula les rênes autour du poteau, quoiqu’il ne redoutât de la part du cheval gris du Grand Cerf aucune velléité de fuite. Les deux hommes entrèrent en courant dans le bois ; le Capitaine dirigeant la course du côté où sa fine oreille lui disait que le coup était parti.

La lune se levait lentement dans le ciel tranquille, mais il ne faisait pas trop clair sous le bois.

Le Capitaine s’arrêta près d’un kiosque rustique tombant en ruine, et enterré à demi sous les branchages entrelacés qui rampaient sur le chaume moisi et la charpente défoncée.

— C’est par ici qu’on a tiré, — dit le Capitaine, — à cent pas environ au nord du tourniquet. Je parierais ma tête que ce n’est pas loin de l’endroit où nous sommes.

Il promena ses yeux autour de lui. Il ne vit personne ; mais une armée entière aurait pu se cacher parmi les arbres qui entouraient le morceau de terre où s’élevait le kiosque. Il écoutait, la tête découverte et sa grosse main pressée fortement sur son cœur, comme pour en arrêter les battements tumultueux. Il écoutait attentivement, comme il l’avait fait souvent, sur une mer calme, pour saisir le moindre souffle du vent qui s’élevait ; mais il n’entendait rien, si ce n’est le coassement des grenouilles dans l’étang qui, comme on sait, n’était pas éloigné du kiosque…

— J’aurais juré que c’est d’ici qu’est parti le coup, — répétait-il. — Dieu veuille que ce soient des braconniers, mais je me sens comme un badaud de Londres à bord d’un steamer entre Bristol et Cork. Dieu, quel vieux fou je fais ! — murmura le Capitaine après avoir fait lentement le tour du kiosque pour se bien convaincre que personne n’y était