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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/84

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AURORA FLOYD

la tête de William Palmer ont déclaré qu’il était tellement dénué de perception morale, tellement privé de retenue et de conscience, qu’il n’aurait pu s’empêcher d’être ce qu’il a été. Que le ciel nous préserve d’accorder beaucoup de crédit à cet horrible fatalisme ! La destinée d’un homme en ce monde et dans l’autre doit-elle dépendre de projections à peine perceptibles aux doigts inexpérimentés, et la propension au bien ou au mal peut-elle se mesurer au compas et se peser dans une balance ?

Le sinistre cortège s’avançait lentement sous le ciel argenté, les feuilles tremblantes faisaient entendre un harmonieux murmure qui vibrait dans l’air, les pâles vers luisants brillaient çà et là sous l’épaisse verdure. Les porteurs du cadavre marchaient d’un pas lent, mais régulier, un peu en avant des autres personnes. Tous marchaient en silence. Qu’auraient-ils pu dire ? En présence de ce terrible mystère de mort, la vie faisait une pause. Il y avait un court intervalle dans le mécanisme de l’existence.

— Il y aura une enquête, — pensait Prodder, — et je serai appelé pour témoigner. Je me demande quelles questions on me fera ?

Cette pensée ne lui vint pas une fois, mais perpétuellement. L’esprit simple de l’honnête marin se trouvait plongé dans un extrême égarement par cette nuit de mystérieuse horreur. La marche de sa vie était changée. Il était venu pour jouer un modeste rôle dans un petit drame domestique d’amour et de confiance, et il se trouvait mêlé à une tragédie : mystère horrible de haine, de secret, de meurtre ; labyrinthe terrible dont il n’entrevoyait point d’issue possible.

Une faible lueur brillait à la fenêtre inférieure du cottage, un faible rayon qui scintillait comme une pierre précieuse sous un berceau de chèvrefeuilles et de clématites. La petite porte du jardin était fermée, mais elle n’était retenue que par un loquet.

Les porteurs du corps s’arrêtèrent avant d’entrer dans le jardin, et le constable s’approcha de Mellish pour lui parler.