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LA FEMME DU DOCTEUR.

dans les quartiers excentriques de Camberwell et de Peckham. Toute cette beauté du Midland la saisit comme une révélation soudaine du Paradis. L’Éden était-il plus beau que ces bosquets et que ces bois, où le sol était couvert de la pourpre des hyacinthes sauvages qui croissaient sous les hêtres, et des chênes centenaires ; où les sentiers moussus étaient coupés par des zones d’ombre et de lumière alternatives, où le sifflet guttural des merles chantait sans cesse dans l’air. George regardait avec étonnement l’expression ravie de la jeune fille et ses lèvres entr’ouvertes qui tremblaient légèrement sous la violence de son émotion.

— Je ne croyais pas qu’il pût exister en Angleterre un paysage aussi magnifique, — dit-elle enfin, quand George vint la troubler par quelque remarque banale sur le spectacle qu’elle contemplait. — Je croyais qu’il n’y avait qu’en Italie et en Grèce et dans des pays semblables, où allait Childe Harold, que la campagne était aussi belle. Il semble qu’on ne puisse plus retourner vers le monde, n’est-ce pas ? — ajouta-t-elle naïvement.

George fut contraint d’avouer que, bien que le site fût magnifique, il ne lui inspirait pas néanmoins l’idée de se faire ermite et d’y établir sa résidence. Mais Isabel l’entendit à peine. Elle plongeait son regard dans les mystérieuses profondeurs des ombres et des lumières, et pensait que dans un lieu pareil le héros d’une existence féminine paraîtrait dans toute sa gloire. Si elle allait le rencontrer en ce jour, cet homme étonnant et inconnu, le Childe Harold, le Lara de sa vie ! Qu’arriverait-il ?… qu’arriverait-il si elle le rencontrait et si l’histoire allait commencer ce jour-là, — ce jour même, — et que son existence en fût