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LA FEMME DU DOCTEUR

dorénavant changée ? Le jour lui-même était comme le commencement d’un roman, en ce sens qu’il ne ressemblait pas aux autres jours. Elle avait rêvé à cette fête plus follement encore que George ne l’avait fait ; car les rêves du jeune homme avaient reposé sur une base réelle, tandis que les siens étaient échafaudés sur un nuage. Si lord Hurstonleigh se promenait dans son parc, s’il allait la voir et la sauver au moment où elle serait en danger de périr dans l’eau, ou sous les coups d’un taureau furieux, en un mot la tirer d’un grand péril quelconque, puis, à la suite de l’événement, devenir amoureux d’elle ! Rien n’était plus fréquent et plus vraisemblable d’après l’expérience de la vie qu’Isabel avait puisée dans les romans en trois volumes. Malheureusement M. Raymond lui apprit que lord Hurstonleigh était un homme marié et un vieillard, et que de plus il habitait le midi de la France. Le rêve brillant s’écroula donc bien vite. Mais il n’est aucun point de l’horizon par lequel un héros ne puisse venir. Il y avait encore de l’espoir ; il y avait de l’espoir que cette magnifique journée de printemps ne se terminerait pas comme tant d’autres journées, de la même façon monotone, qu’elle ne s’arrêterait pas à la même page blanche.

M. Raymond était d’une grande gaieté ce jour-là. Il aimait à se trouver avec des jeunes gens, et il était plus jeune que le plus jeune d’entre eux dans son ravissement à la vue de tout ce qui est beau et séduisant en ce monde. Il se consacra surtout à la société de ses jeunes protégés et trouva le moyen de leur apprendre beaucoup de choses sous une forme agréable, qui ôtait l’amertume de cette médication pour laquelle les orphelines montraient peu de goût. Elles étaient