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LA FEMME DU DOCTEUR

cieux, faisant tournoyer sa canne en marchant, et relevant de temps en temps la tête pour aspirer la fraîcheur de cette radieuse journée printanière.

— Oui, pauvre enfant, — pensait-il, — je crois que cela vaut mieux. Les gens vulgaires et prosaïques sont nécessaires à la société, et je me demande vraiment si elle ne se passerait pas volontiers de ces êtres doués qui courent perpétuellement de çà et de là, tenant à la main cette torche flamboyante que les hommes appellent le génie et mettant le feu aux reliques humaines, aux vieux préjugés et aux allusions consacrées. Il y a là assurément des hommes à qui l’on peut confier ces torches dangereuses et qui courent aussitôt à l’escalade de la montagne la plus élevée, dressant au sommet leur lumière pour servir de phare à l’humanité. Mais à côté de cela il y en a tant qui ne sont que des enfants jouant avec le feu et qui sont dévorés d’une telle soif de célébrité qu’ils incendient tous les objets qu’ils rencontrent. Pauvre orpheline, quelqu’un approfondira-t-il jamais ses fantaisies ou comprendra-t-il ses rêves ? Épousera-t-elle cet excellent et moutonnier médecin provincial qui est tombé amoureux d’elle ? Il peut lui donner un toit et un abri, et ceci est heureux, car elle paraît si abandonnée qu’elle tomberait assurément dans quelque mauvaise voie si elle était laissée à elle-même. Peut-être, est-ce ce qui peut lui arriver de mieux ? J’aurais aimé à imaginer pour elle un sort plus brillant, une existence plus variée. Elle est si jolie… si jolie !… Lorsqu’elle parle et que son visage s’éclaire, j’ai comme une vision de la figure qu’elle ferait dans un grand salon, inondée de lumière et d’étoffes soyeuses de toutes les nuances, formant un repoussoir somptueux à sa pâle et jeune