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LA FEMME DU DOCTEUR.

bornées et insensibles ; mais n’étaient-elles pas les filles de sa pauvre malheureuse nièce qui avait acquis, en raison de ses nombreuses souffrances, une sorte de droit divin à devenir un fardeau pour les gens heureux ?

— Si elle m’avait laissé une orpheline comme cette petite Isabel, je l’aurais remerciée de sa mort, — pensait M. Raymond. — Cette enfant possède le don d’imitation mentale, la faculté la plus rare et la plus élevée du cerveau humain, le sentiment poétique et la comparaison. Que n’aurais-je pas pu faire d une nature pareille ? Et cependant…

M. Raymond termina sa phrase par un soupir. Il pensait que, tout considéré, ces facultés brillantes pouvaient bien ne pas être des dons précieux pour une femme.

Il eût été préférable peut-être pour Isabel de posséder la faculté de la fabrication du pudding et du reprisage des bas, en admettant que ces talents utiles soient représentés par un organe. L’excellent phrénologue pensait que la destinée la plus brillante que le sort tenait en réserve pour cette pâle jeune fille aux yeux à reflets dorés était peut-être de partager la maison d’un naïf médecin de province et de faire, des enfants qu’elle aurait, des hommes honnêtes et des femmes vertueuses.

— Peut-être cela vaut-il mieux, — se dit M. Raymond à lui-même.

Il avait envoyé les orphelines rejoindre Sigismund qui leur racontait affectueusement l’histoire de Lilian l’abandonnée, avec telles suppressions et corrections qui mettaient le roman à la portée de leur âge. Le philosophe de Conventford s’était débarrassé des orphelines et se promenait à l’écart dans ce parc déli-