Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
126
LA FEMME DU DOCTEUR.

transparents, et un morceau de fromage de Stilton, sans parler de fines bouteilles de Madère et de Bourgogne étincelant.

Peut-être n’y eut-il jamais une fête plus joyeuse. Manger du poulet froid et boire du vin de Bourgogne, en plein air, par une radieuse après-midi du mois de mai, est toujours une chose ravissante, quand même le théâtre du déjeuner champêtre serait la plus stérile des dunes de Sussex, ou la plus monotone des plaines du comté d’York. Mais boire d’excellent vin dans ce petit ermitage de Hurstonleigh, pendant que le mugissement de la cascade accompagne vos éclats de rire, et que l’ombre des chênes centenaires vous isole du monde entier, c’est l’ultima Thule du bonheur en fait de déjeuner sur l’herbe. Et puis les compagnons de M. Raymond étaient tous si jeunes ! Il leur était si facile de laisser le passé sur le seuil de ce charmant bosquet, et d’enfermer leur vie entière dans le cercle étroit de cette radieuse journée. Isabel oublia qu’elle avait une destinée, et consentit à être heureuse d’une façon simple et naïve, sans penser davantage au prince qui tardait tant à venir.

Peut-être le vin de Bourgogne entrait-il pour quelque chose dans l’enthousiasme de George, mais insensiblement. Après que les débris du repas eurent été enlevés, et que la petite réunion resta autour de la table rustique, causant avec cette expansion et cette éloquence qui résultent si fréquemment de la consommation des vins capiteux en plein air, le jeune médecin en vint à penser que la terre entière ne recelait pas une créature plus séduisante que la jeune fille assise en face de lui, la tête appuyée sur le treillage de la tonnelle et son chapeau posé sur ses genoux. Elle ne