Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
157
LA FEMME DU DOCTEUR

rendait George indiciblement heureux. L’idée qu’un chagrin quelconque pût se cacher à l’horizon ne lui entra pas un instant dans l’esprit, une fois les serments prononcés. Il avait parfois, il est vrai, songé aux conseils de Jeffson, mais uniquement pour sourire avec un mépris superbe du langage du pauvre homme. Isabel l’aimait, elle souriait en le regardant ; se montrait douce et obéissante lorsqu’il lui donnait un conseil. Peut-être était-il un peu prodigue de conseils ! Elle avait renoncé à la lecture des romans, et elle employait ses loisirs à l’intéressante occupation d’ouvrages de couture. Son mari la regardait complaisamment ourler à la lumière des bougies un mouchoir de batiste, enfiler à chaque instant son aiguille, hésiter un peu en arrivant aux angles, et s’arrêter de temps en temps pour bâiller discrètement derrière ses doigts effilés et transparents. Mais quoi d’étonnant ? Elle avait passé la journée au grand air et il était bien naturel qu’elle ressentît une violente envie de dormir.

Peut-être eût-il mieux valu pour George qu’il n’eût pas prié M. Pawlkatt de visiter ses malades, et qu’ainsi il ne se fût pas accordé une semaine de congé en l’honneur de sa jeune femme ? Peut-être eût-il été préférable que son billet de dix livres restât dans sa poche et qu’il eût conduit sans détour Isabel à la maison qui devait dorénavant être la sienne. Cette semaine passée à l’hôtel de Murlington révéla un fait déplorable aux jeunes époux, — un fait que les promenades du dimanche à Conventford n’avaient fait qu’indiquer vaguement : c’était qu’ils avaient peu de choses à se dire. Cette dangereuse découverte, qui apporte le désespoir avec elle, apparut enfin et soudain à Isabel, et une froide sensation d’ennui et de désappointe-