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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/167

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LA FEMME DU DOCTEUR

boueuses à la robe d’Isabel, cette robe de soie noire de son mariage qu’elle avait portée toute la semaine, et Mme Gilbert ne fit aucun effort pour la sauver de ses déprédations. Elle s’accota dans un angle pendant qu’on chargeait les bagages, et elle laissa tomber son voile. Des larmes lui montèrent lentement aux yeux et roulèrent sur ses joues pâlies.

Elle s’était fourvoyée, horriblement et sans ressources, et elle devait supporter à jamais les lamentables conséquences de son erreur. Elle ne ressentait aucune haine pour George. Elle ne l’aimait ni le détestait, seulement il ne pouvait lui donner l’existence qu’il lui fallait, et par son mariage avec lui, elle s’était défendu à jamais l’espérance de cette existence. Maintenant le prince ne pouvait plus venir ; aucun duc de rencontre ne devait tomber amoureux de ses yeux noirs et la mener subitement dans les régions éclatantes qu’elle aspirait à visiter. Non, tout était fini. Elle avait vendu son droit d’aînesse pour un vulgaire plat de lentilles. Elle avait aventuré toutes les chances de son existence future pour un soulagement momentané de la monotonie présente, pour quelques vêtements de noce, un porte-cartes avec un nom nouveau sur les cartes qu’il contenait, la distinction éphémère d’être une jeune mariée.

George lui parla deux ou trois fois pendant le voyage de Graybridge ; mais elle ne lui répondit que par monosyllabes ; elle avait une migraine, disait-elle, — cette indisposition féminine qui sert d’excuse pour toutes choses. Elle ne regarda pas une fois par la fenêtre, bien que le chemin fût nouveau pour elle. Elle resta dans le fond du véhicule, tandis que George et le fermier causaient politique, et leurs paroles se