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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/168

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LA FEMME DU DOCTEUR.

mêlaient vaguement à sa propre douleur. L’obscurité augmenta dans l’étroite voiture, les voix de George et du fermier s’éteignirent peu à peu, et à la longue on entendit un ronflement, venant de George ou de son compagnon, ce qu’Isabel ne daigna pas vérifier. Elle pensait à Byron et à Napoléon. Ah ! avoir vécu à cette époque, l’avoir suivi, s’être sacrifiée pour lui, être morte pour lui dans cette île solitaire perdue au milieu de l’Océan ! Ses larmes coulèrent plus abondamment quand tous ses rêves puérils lui revinrent et se dressèrent comme un contraste cruel avec sa nouvelle existence. L’héroïne irlandaise de M. Buckstone, quand elle a fini de chanter sa chanson dans la rue froide et déserte, — cette chanson qu’elle croit être le moyen de retrouver son nourrisson perdu, — s’assied enfin sur un seuil couvert de neige et sanglote parce que cela lui paraît bien réel !

La vie semblait bien réelle en ce moment à Isabel. Elle s’aperçut tout à coup que ses rêves n’étaient, après tout, rien que des rêves, à jamais irréalisables, selon toute apparence. Dans tous les cas, ils ne pouvaient plus se réaliser ; elle-même avait élevé une barrière devant l’accomplissement de ces brillantes visions, et force lui était d’accepter les conséquences de son action.

Il faisait nuit noire par cette soirée d’hiver, quand l’omnibus s’arrêta à l’enseigne du Cock, à Graybridge. Il y eut un nouveau transbordement des bagages avant qu’Isabel pût s’en aller à pied avec son mari. Oui, ils allaient partir à pied. À quoi bon les dix livres dépensées en splendeurs à Murlington, puisque la lune de miel devait se terminer par une dégradation pareille ? Ils s’éloignèrent à pied. Les rues étaient glis-