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LA FEMME DU DOCTEUR

M. Lansdell est votre parent ?

— Oui. Ma mère était une Lansdell. Roland et moi nous sommes petits-cousins. C’est un excellent garçon, — un garçon au cœur noble, à l’esprit élevé ; mais…

Mais quoi ? M. Raymond fit entendre un si profond soupir, qu’Isabel entrevit tout un roman. Avait-il commis quelque mauvaise action ? Cet homme séduisant et brun avait-il l’âme rongée par quelque remords ! Était-il complet, en un mot ? Avait-il quitté sa patrie, comme Byron, ou enterré son prochain dans une cave comme Aram ? Les yeux d’Isabel se dilatèrent et Raymond répondit à leur regard interrogateur.

— Je soupire en parlant de Roland, — dit-il, — parce que je sais que ce jeune homme n’est pas heureux. Il est isolé ici-bas et il a plus d’argent qu’il ne sait en dépenser ; deux choses détestables pour un jeune homme. Il est beau et séduisant, autre désavantage ; et il est intelligent sans être un génie. En un mot, c’est un homme destiné à passer ses meilleures années dans les salons au milieu des femmes et à écrire de cyniques pamphlets sur des hommes meilleurs que lui lorsqu’il sera vieux. Je ne vois pour lui qu’un moyen de salut : un heureux mariage ; — un mariage avec une femme de cœur qui saisirait les rênes avant qu’il ait eu le temps de se reconnaître. Les hommes les plus heureux et qui sont arrivés le plus haut ont été menés par le bout du nez. Voyez le sort de ceux qui ont refusé ce joug. Voyez Swift ; c’était un des plus grands esprits et les femmes ne l’oubliaient pas ; voyez-le radotant sous la surveillance de sa servante. Voyez Sterne ; et Steele, qui serait volontiers resté bon et loyal, mais qui fut amené à trahir ses