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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/219

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LA FEMME DU DOCTEUR

foi en lui-même ; aussi prit-il les idées d’autrui pour base de son œuvre, et lorsqu’il ouvrit les yeux sur la nécessité de la bière et du tabac, les ouvriers s’étaient lassés et l’avaient abandonné.

C’était là l’un des nombreux projets dont Lansdell entreprit l’exécution pendant qu’il était encore très jeune et qu’il avait quelque confiance dans son prochain. C’est un exemple de ce que furent les autres. Les projets de Roland n’étaient pas heureux, parce qu’il n’avait pas la force de supporter un premier échec, et de poursuivre le succès définitif à travers les marécages du désespoir et du découragement. Il cueillait le fruit avant qu’il fût mûr ; il se fâchait lorsqu’il le trouvait aigre, et jetait bas l’arbre qui produisait si mal, pour le remplacer par un autre. Ses meilleures intentions tombaient à plat, et il les laissait se pourrir, tandis qu’il s’éloignait pour édifier ailleurs de nouveaux projets et pour rencontrer de nouvelles défaites.

De plus, Lansdell était un jeune homme impatient, à tête chaude, et il y avait certaines choses qu’il ne pouvait supporter. Mieux que beaucoup de gens il savait souffrir l’ingratitude, car il était excessivement généreux et n’attachait que peu de prix aux faveurs qu’il prodiguait. Mais il ne pouvait supporter que les gens qu’il cherchait à obliger ne reçussent qu’avec humeur les efforts qu’il faisait dans leur intérêt. Qu’on se rappelle que c’était là son but unique. Il n’avait nullement la conviction solennelle d’un devoir sacré à accomplir à n’importe quel prix, en dépit de tous les obstacles, à la face de toutes les oppositions. Son but unique était d’être utile à son prochain, et lorsqu’il s’apercevait qu’on repoussait ses efforts, il s’éloignait, résigné à l’impuissance et à laisser ses semblables