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LA FEMME DU DOCTEUR.

agir à leur guise. C’est pourquoi, presque aussitôt après avoir prononcé un brillant discours sur la loi des pauvres, au moment où le monde parlait de lui comme de l’un des jeunes libéraux d’avenir, Lansdell tourna brusquement le dos à la Chambre et partit pour l’étranger.

Outre la chute de ses projets philanthropiques, il avait éprouvé un autre désappointement, — un désappointement qui l’avait frappé au cœur et lui avait donné une excuse pour l’indifférence cynique, l’infidélité hypocondriaque qu’on avait remarquées en lui à partir de cette époque.

Lansdell avait été maître de sa destinée dès l’adolescence, car son père et sa mère étaient morts jeunes. Les Lansdell n’atteignaient pas à un âge avancé ; il semblait même qu’il y eût une sorte de fatalité qui s’attachât aux maîtres du Prieuré de Mordred, et dans la longue galerie des Lansdell défunts, qui contemplaient gravement les frivoles créatures du moment, l’étranger était frappé de la jeunesse de tous ces visages, de l’absence de ces barbes blanches et de ces crânes dépouillés qui donnent de la dignité à la plupart des galeries de portraits de famille. Les Lansdell de Mordred mouraient jeunes et le père de Roland était mort subitement pendant que l’enfant était à Éton ; mais sa mère, Lady Anna Lansdell, sœur unique du comte de Ruysdale, vécut assez longtemps pour être l’amie et la compagne des plus belles et des plus joyeuses années de la vie de son fils. Cette existence perdit son éclat lorsqu’elle mourut, et je crois que ce chagrin immense agissant sur un tempérament naturellement rêveur, dut contribuer beaucoup à confirmer cette mélancolie maladive qui assombrissait l’esprit de Lansdell.