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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/246

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LA FEMME DU DOCTEUR.

motifs de se plaindre. S’il choisit une femme entre toutes parce qu’elle est loyale, intelligente, et fidèle, il a grand’raison de se fâcher dès qu’elle cesse de posséder l’une de ces qualités.

Lansdell et ses chiens demeurèrent fort longtemps à l’ombre des grands chênes. Les chiens s’impatientaient et témoignaient leurs sentiments par des bâillements fréquents qui ressemblaient à des hurlements étouffés ou par des battements de queue précipités, des bonds inattendus et inutiles, et de petits sommes interrompus fréquemment ; mais Roland n’était pas pressé de s’éloigner du Roc de Thurston. Mme Gilbert n’était pas dénuée d’intelligence, après examen ; elle était quelque chose de plus qu’une jolie image de cire animée par un mécanisme ingénieux. Cette jolie tête était pleine d’idées confuses, de fantaisies informes et puériles qui charmaient et amusaient l’élégant désœuvré habitué à un monde où toutes les femmes sont instruites et accomplies, et capables d’exprimer toutes leurs pensées, et même davantage, avec la précision et le sang-froid de créatures fermement convaincues de l’infaillibilité de leur propre jugement. Oui, Lansdell s’amusait du bavardage d’Isabel, et il la traita avec beaucoup de douceur jusqu’à ce que sa timidité eût disparu et qu’elle osât regarder le visage de son interlocuteur. Il amena ses paroles au diapason de la jeune femme et se promena avec elle dans le Valhalla de ses héros, depuis Eugène Aram jusqu’à Napoléon. Mais au milieu de ces propos, elle regarda tout à coup une petite montre d’argent, présent de son mari, et vit qu’il était trois heures passées.

— Permettez-moi de m’en aller, — dit-elle. — Je