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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/301

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LA FEMME DU DOCTEUR

— Quelle bonté ! pensait Isabel, surtout chez un homme chez lequel la bonté est en quelque sorte un attribut superflu, puisque les héros, surtout ceux qui sont bruns, mélancoliques, et beaux, ne sont tenus en aucune façon à posséder d’autres vertus. Quelle bonté de sa part ! lui qui se montre aussi dédaigneux de ses propres mérites que si les os d’un autre Clarke eussent blanchi dans quelque caveau lointain, évidence impérissable de son crime. Quelle bonté ! il n’avait été ni offensé ni dégoûté lorsqu’il l’avait quittée si brusquement ; car il se montrait plus affable que jamais, et passait des heures entières dans le parloir exposé au soleil dans l’espérance que le médecin rentrerait.

Mais lorsque Lansdell s’éloignait lentement après des visites de ce genre, il y avait généralement sur son visage une expression de mécontentement qui était en contradiction avec le plaisir qu’il avait semblé prendre pendant l’heure qu’il avait passée à Graybridge. Il n’était pas logique. Peut-être cela tenait-il à sa nature de héros. Il lui arrivait parfois d’oublier le gouffre béant qui devait le séparer de toute relation sympathique avec Isabel ; il arrivait qu’il s’oubliait assez pour être jeune et heureux pendant ses visites vagabondes à Graybridge ; pour jouer des fragments décousus de musique improvisée sur le vieux clavecin, pour dessiner de petits paysages, des temples italiens, et des figures de jeunes filles avec de grands yeux noirs qui ressemblaient assez à Isabel, ou bien se promener de long en large dans le vieux jardin où Jeffson posait, appuyé sur sa bêche entre un espace de terrain en friche et un carré de choux. Je dois à la vérité de dire que Jeffson, qui était la cour-