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LA FEMME DU DOCTEUR.

desquelles adhéraient encore quelques feuilles. Il fit couper des bouquets. L’un d’eux était une véritable pyramide de fleurs rares, dans les nuances tendres et immaculées ; il prit soin de choisir les arômes les plus riches et caressa négligemment l’énorme bouquet du bout de ses doigts effilés et blancs, contemplant son œuvre avec un sourire, comme si les fleurs avaient eu un langage pour lui, — et, en effet, elles en avaient un ; mais ce n’était nullement ce vocabulaire stéréotypé de substantifs et d’adjectifs connu sous le nom de langage de fleurs.

Le choix d’un bouquet n’était pas chose nouvelle pour lui. N’avait-il pas dépensé une petite fortune dans la rue de la Paix et dans le faubourg Saint-Honoré en échange d’énormes buissons de roses et de myosotis, de jasmins du Cap et de camélias laiteux qu’il voyait plus tard appuyés sur les coussins de velours d’une loge de l’Opéra, ou se fanant dans la chaude atmosphère d’un boudoir. Roland n’était pas un homme vertueux, sa vie n’était pas pure. De jolies femmes l’avaient appelé Enfant ! dans les retraites mystérieuses des serres chaudes, discrètement illuminées, ou sur le seuil, caché par des rideaux soyeux, des balcons éclairés par la lune. De fines soubrettes des grands et des petits théâtres parisiens, de séduisantes Martons, Margots, ou Jeannetons, un balai à la main et des diamants aux oreilles, lui avaient adressé leurs sourires, leur jeu, leurs chansons dans les profondeurs de la loge où il se cachait. Il n’avait pas mené une vie pure. Mais il n’avait jamais péché impunément. Pour lui le remords accompagnait la faute. Dieu sait que je parle de lui en toute franchise et sincérité. Je l’ai vu et connu ou j’ai vu ses pareils. Ce