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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/42

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LA FEMME DU DOCTEUR.

soir à dîner et qui en a redemandé ? Voilà la maladie que tu as, Izzie ; deux tournées de pudding au dîner et d’innombrables tartines beurrées au déjeuner ! »

Ce n’est pas ainsi que lui parlaient les amis de Florence Dombey. Ce n’est pas ainsi que le petit Paul eût parlé à sa sœur ; mais aussi comment supporter ces grands garçons crevant de santé, après avoir lu l’histoire du petit Paul ?

L’existence de la pauvre Isabel était absolument vulgaire et terre à terre. Impossible d’en tirer la plus petite goutte de romanesque si fort qu’on la pressât.

Son père n’était ni un Dombey, ni un Augustin Caxton, ni même un Rawdon Crawley. C’était un homme fort, aux épaules larges, bien portant, aimant la bonne chère, et buvant ses trois bouteilles d’eau-de-vie par semaine. Il aimait suffisamment ses enfants, mais il ne les emmenait jamais avec lui et les voyait fort peu à la maison. Impossible d’en rien tirer de romanesque. Isabel n’eût pas été fâchée qu’il l’eut maltraitée ! elle aurait eu un chagrin et ç’aurait été au moins quelque chose. S’il s’était mis dans un accès de rage et qu’il l’eût jetée du haut en bas de l’escalier, elle aurait pu courir se précipiter dans le canal. Mais, hélas ! il n’y avait pas de Capitaine Cuttle chez lequel elle pût se réfugier ; pas de noble Walter qui revînt la voir et dont l’ombre tremblât sur la muraille à la lumière du foyer ! Hélas ! hélas ! elle regardait au nord et au sud, à l’est et à l’ouest, et le ciel restait noir ; aussi retournait-elle à son opium intellectuel et rêvait-elle des rêves. Les petits griefs ne lui manquaient pas, tels que le raccommodage des trous aux vêtements de ses frères, ou la commission d’aller cher-