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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/166

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LES OISEAUX DE PROIE

nant par la taille, les fillettes ne manquaient de se moquer, de dire du mal de Diana. Hélas ! pour Diana, le vieux bouquin n’était qu’un prétexte. La vérité, c’est qu’elle voulait être seule pour penser. Son existence, pendant l’année qui venait de s’écouler, avait été parfaitement tranquille, parfaitement honorable. Cependant ce n’était pas sans une sorte de plaisir amer qu’elle se reportait aux quelques jours joyeux qui avaient traversé comme des rayons de soleil la nuit tourmentée de sa pauvre vie de bohème, dont elle avait senti certes l’humiliation, mais que, dans la monotonie et la bourgeoise tristesse de sa vie nouvelle, il lui était impossible parfois de ne pas regretter. Était-ce donc vrai ce qu’avait dit Valentin, que mieux vaut des alternatives de profonde misère et de rare bonheur que l’uniformité fatigante d’une existence médiocre ? Diana commençait à croire que la philosophie de son ancien compagnon n’était pas absurde. Elle se voyait avec Valentin courant les théâtres, assise à côté de lui dans une loge sombre ou l’on étouffait ; elle entendait les plaisanteries cassantes, les jugements faciles, les rires sonores du jeune homme pendant les entr’actes. Au fait, il avait été si bon garçon, si fraternel pour elle ! Puis, ils revenaient ensemble, bras dessus, bras dessous, piétinaient dans la crotte, remontant les rues pleines de bruit, de monde, parlant de la pièce, faisant des réserves, quelquefois s’enthousiasmant. Il y avait des soirs où ils s’arrêtaient sur le trottoir de longs quarts d’heure à regarder les fenêtres éclairées d’une maison où il y avait bal ; ils écoutaient la musique, Valentin sifflotait entre ses dents la valse qui finissait, battait la mesure avec sa canne, et tous deux, en souriant d’un sourire mélancolique, ils s’amusaient à compter les ombres des