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LES OISEAUX DE PROIE

danseurs qui passaient et repassaient sur l’éclatante mousseline des rideaux. Et les voyages ! et les bousculades dans les gares ! et les veillées sur les ponts des bateaux sous la grande clarté de la lune ! Et les nuits froides dans le chemin de fer avec la lampe charbonneuse et son odeur d’huile, quand le capitaine ronflait et que Valentin racontait des histoires, tuant le temps en débitant toutes les facéties qui lui passaient par la cervelle ! Diana revoyait aussi les grandes villes qu’ils avaient visitées tous les trois ; Valentin ne s’étonnait de rien, disait à tout bout de champ : « Ah ! bah ! c’est toujours la même rengaine ! » Elle, au contraire, s’extasiait à propos de tout ! Oh ! oui, il avait été bien bon ce mauvais sujet, et gai, et vivant, et charmant ! Comme tout cela était loin, hélas ! Diana ne pouvait s’en souvenir sans un serrement de cœur. Est-ce que ç’avait été le bon temps ? Elle le croyait parfois, et, prise de lassitude, elle se disait qu’en dépit des outrages de la misère, c’était dans cette vie folle qu’elle avait encore connu les joies les meilleures.

Elle s’était trouvée heureuse auprès de Valentin parce qu’elle l’avait aimé. Cette vie intime, malgré son caractère fraternel, avait été fatale pour la fille de Paget. Elle n’avait pas une amie, et dans son abandon elle s’était attachée au seul être qui ne lui eût pas sans cesse reproché de lui être un embarras. Chaque injustice de son père à son égard avait resserré la chaîne qui la liait à Valentin, et comme leur amitié n’avait fait que s’accroître jusqu’à ce qu’elle n’eût plus d’autres pensées et d’autres désirs que les siens, il lui semblait impossible que lui aussi ne l’aimât pas. Cela était à ses yeux si naturel qu’elle ne se posa jamais la question de savoir si elle était aimée. Bien des choses