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LES OISEAUX DE PROIE

l’honneur, par les promesses passées, les affections de l’enfance ? Ils réduisent toutes choses en livres, shillings, et pence, et, suivant eux, vous avez eu raison quand vous m’avez refusé pour épouser Tom. »

Georgy quitta son ouvrage et prit son mouchoir. Elle était de ces femmes qui se réfugient dans les larmes lorsqu’elles se sentent vaincues. Ses pleurs avaient toujours calmé l’honnête Tom, si irrité qu’il fût, et, sans doute, leur effet serait le même sur Sheldon.

Mais Georgy dut bientôt s’apercevoir que le dentiste était d’une autre trempe que l’honnête fermier. Il regardait couler ses pleurs avec la froide attention d’un savant ; il était même heureux de constater qu’il pouvait encore faire pleurer la pauvre enfant. Elle lui était nécessaire dans l’accomplissement de certain dessein qu’il avait conçu pour lui-même, et il voulait s’assurer de son degré de souplesse. Il savait que l’amour qu’elle avait ressenti pour lui, n’avait, à aucune époque, été excessif, que sa légère flamme avait certainement dû s’éteindre depuis neuf années ; mais son but pouvait aussi bien être atteint par la crainte que par l’affection, c’est pourquoi il était venu avec l’intention de calculer exactement son pouvoir sur la faiblesse de son hôtesse.

« C’est très-mal à vous de dire d’aussi cruelles choses, M. Sheldon, dit-elle en pleurant. Vous savez très-bien que mon mariage s’est fait par la volonté de papa et non par la mienne. Oh ! certes, si j’avais pu prévoir qu’il me laisserait ainsi, passerait ses nuits dehors, et rentrerait dans de pareils états, je n’aurais jamais consenti à le prendre pour mari.

— Vous n’auriez pas consenti ?… Oh ! si, vous l’auriez fait. Si vous étiez veuve demain et libre de vous remarier, vous choisiriez encore un homme semblable à