Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/485

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parité de connaissances et d’expérience entre un imprimeur et un libraire qu’il y en a entre l’ouvrier et le négociant[1]. »

Il est difficile de manifester plus vif dédain de la correction et de ceux qui en assument la lourde tâche : « L’imprimeur, occupé tout au plus… à lire des épreuves, est tout à fait insuffisant pour la visite des livres ! » Les éditeurs — « ces plantes parasites que les imprimeurs ont eu le grave tort de laisser croître et grandir entre eux et les auteurs » — étaient-ils plus qualifiés « pour la visite des livres » ? Nous aurions voulu le croire. Mais, à connaître les nombreuses mesures de rigueur prises par l’Université et le Pouvoir royal contre les libraires et les écrivains, nous ne pouvons nous empêcher de songer que trop souvent le livre fut exclusivement, pour les adversaires des imprimeurs, « du noir sur du blanc ».

Aussi bien, les imprimeurs ne restèrent point sur cette attaque.  S’indignant des prétentions de leurs adversaires qu’ils jugeaient excessives, les imprimeurs répliquèrent un peu durement : « Quelque idée avantageuse que les libraires forment de leur profession, la librairie sera toujours au-dessous de l’imprimerie. L’imprimerie est un art ; la librairie n’est qu’un commerce ; l’imprimeur est un artiste, et le libraire n’est qu’un marchand de livres… Si la librairie est honorée du nom d’art, c’est parce que les libraires ne font qu’un même corps avec les imprimeurs. La preuve est que l’imprimeur ne déroge point par l’exercice de l’imprimerie, et que la librairie déroge. »

L’argument sans doute était sans réplique : « noblesse oblige » !

Notre xixe et notre xxe siècle n’ont pas connu et — nous l’espérons tout au moins — ne connaîtront point ces rivalités violentes. L’abolition des corporations, des jurandes et des maîtrises a calmé les esprits. Nous regrettons cependant de le dire : notre époque n’a point vu disparaître ce mépris que l’on affecte dans notre corporation à l’égard de l’un de ses artisans les plus dévoués.

Les éditeurs actuels ne semblent point animés, à l’égard du correcteur, de sentiments plus élevés que ceux manifestés par leurs prédécesseurs : des querelles ataviques ils ont conservé tous les préjugés et toutes les erreurs. Au début du xixe siècle, Bertrand-Quinquet[2] en

  1. D’après J. Radiguer.
  2. Traité de l’Imprimerie, p. 109.