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APPENDICE. — N° V.

existence, quand on passe dans le monde du Nirvrĭti. Le mot nirôdha signifie généralement extinction ou cessation totale de l’existence versatile. » Et il insista pour traduire dharmâ par les êtres, les existences, les entités, tant inanimées qu’animées. J’omets, pour abréger, les corrections qu’avait successivement subies cette interprétation, et dont le savant orientaliste Dr Mill avait fourni sa bonne part ; mais je ne dois pas oublier l’appréciation exacte qu’il avait faite de la formule, en en signalant le caractère athéiste, et en la rapprochant du vers célèbre de Virgile :

......qui potuit rerum cognoscere causas[1].

Enfin le colonel H. Burney vint apporter à ces explications successives le dernier trait de précision, en montrant le lien qui rattachait cette maxime sacramentelle à la doctrine authentique des Buddhistes du Sud, et nous pouvons ajouter aussi de ceux du Nord[2]. Il fit voir que les Barmans rapprochent la formule Yê dhammâ des quatre vérités dites ariyâs, c’est-à-dire sublimes ou respectables, savoir que tous les êtres existants sont condamnés à la souffrance, que l’accumulation des désirs auxquels sont en proie tous les êtres est la cause de l’existence, qu’il y a un terme aux désirs et à l’existence même, et que ce terme est le Nibbâna, enfin qu’il y a une voie pour parvenir à ce terme. Or, de ces quatre vérités, les Barmans disent que la première est l’effet de la seconde, que la troisième seule peut nous affranchir des deux premières, et que la quatrième donne le moyen d’obtenir la troisième. Et conséquemment à cette explication ils traduisent ainsi la formule : « Les lois (de l’être et de la douleur) procèdent d’une cause, et cette cause (qui est la loi des mauvais désirs et des passions), le Tathâgata l’a exposée. Et ce qui est la destruction de ces deux lois, le grand Samaṇa l’a dit également. » On voit qu’ici, comme le fait remarquer le colonel Burney, dhammâ (dharmâḥ) ne signifie pas seulement les actions humaines, ou toutes les existences sensibles, mais les lois qui les gouvernent et les affectent, les lois fondamentales du monde moral. C’est, à bien peu de chose près, le sens auquel arriva de son côté Lassen, en traduisant dharmâḥ par « lois propres à chaque être particulier[3]. » Au reste le mérite des observations du colonel Burney est bien moins dans sa traduction qui ressemble plutôt à une glose, que dans le rapport qu’il a établi, justement selon moi, entre la formule Yê dhammâ et les quatre vérités sublimes. Si l’on traduit, en effet, en modifiant très-peu et seulement pour un mot la version de M. Hodgson, « les lois (ou les êtres) qui procèdent d’une cause, c’est le Tathâgata qui en a dit la cause ; et ce qui est la cessation de ces lois (ou de ces êtres), le grand Samaṇa l’a dit également, » on reconnaîtra que les Barmans ont eu raison de rattacher aux ariya satchtchâni les termes de la formule, qui se succèdent dans l’ordre propre à l’exposition buddhique, l’effet d’abord et la cause ensuite : 1o les dhammâ, les lois, c’est-à-dire la douleur et l’existence, répondantes à la douleur ; 2o hêtu, la cause, c’est-à-dire la production de la douleur, répondante à la production de l’existence ; 3o nirodha, la cessation, c’est-à-dire la cessation des passions et de l’existence, répondante au Nibbâna ou à l’anéantissement ; et j’ajoute enfin pour le quatrième

  1. Dr Mill, dans Journal as. Soc. of Bengal, t. IV, p. 215.
  2. Journal as. Soc. of Bengal, t. V, p. 159.
  3. Zeitschrift für die Kunde des Morgenl. t. I, p. 229.