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OBSTACLES À LA CONVERSION DU JAPON

dans la bouche de Yemitsu, auteur de l’édit de bannissement, ces paroles de haine sauvage et sanguinaire : « Tant que le soleil échauffera la terre, qu’aucun chrétien ne soit assez hardi pour venir au Japon. Que tous le sachent ! Quant ce serait le roi d’Espagne en personne, ou le Dieu des chrétiens, ou le grand Shaka lui-même[1], celui qui violera cette défense, le payera de sa tête ». Enfin, c’est cette même aversion qui le retient actuellement encore dans ses préjugés contre tout étranger venant au Japon, même contre le missionnaire catholique, et qui le porte à exercer un espionnage discret, mais réel.

Qu’elle est étrange l’idée que le Japonais se fait de l’Européen ou de l’Américain ! Pour lui, tout étranger, le missionnaire y compris, est un intrus inquiétant. Il faut voir, par exemple, lorsque celui-ci passe dans la me, avec quel étonnement on le regarde et toise des pieds à la tête, avec quelle physionomie et quelle expression on se dit à mi-voix le mot seiyôjin, un étranger ! dans lequel il semble qu’on veuille faire passer tout son flétrissant mépris. Toutefois on ne raille ni n’insulte jamais ; et ceci doit se dire même des enfants, si bien que, sous ce rapport, on ne rencontre pas souvent de polissons au Japon.

Intrus, l’étranger au Japon ! C’est trop peu dire : il y apparaît comme un espion. Le gouvernement japonais lui-même répand dans les autres pays de tels

  1. Le grand Shaka, connu aussi sous le nom de Shaka-muni, Shaka-bosatsu, Shaka-nyorai, est considéré comme un dieu dans le bouddhisme dont il fut le fondateur. Il est né vers 653 av. J.-C. et mort à l’âge de 79 ans. Yemitsu abhorrait le bouddhisme à l’égal du christianisme.