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PROPOS JAPONAIS

émissaires, pour en étudier les institutions, être à l’affût des inventions les plus récentes de la science moderne et en faire au plus tôt bénéficier son propre pays. Le Japonais croit que les autres pays font de même et que les gens venus chez lui sont de pareils espions ; il ne s’imagine pas un seul instant que ces étrangers ne soient venus pour un autre but que pour un intérêt national et politique. Quelle que soit la profession qu’ils exercent : qu’ils soient banquiers, marchands, industriels, missionnaires, toujours, pour le Japonais, cet emploi est un astucieux prétexte, une ruse habile à l’abri de laquelle, pense-t-il, ces hommes exploitent le Japon et les Japonais.

Un fait assez récent vient de faire constater une fois de plus l’existence de ce préjugé. C’était en chemin de fer. Un missionnaire, en voyage de mission, venait tout juste de prendre place dans un wagon de seconde classe, non loin de trois ou quatre gros messieurs, qui avaient déjà, semblait-il, causé longuement ensemble. À l’apparition de l’étranger, grand silence avec ébahissement visible. Puis, quelques mots discrets ; ensuite, comme on croit que le nouveau venu ne comprend pas le japonais, on reprend peu à peu la conversation, et l’un d’eux, d’un ton doctoral, affirme catégoriquement que les gens de cette espèce viennent au Japon pour propager leurs intérêts nationaux et que, sous prétexte d’enseignement religieux, ils travaillent à susciter des sympathies à l’égard de leur propre patrie. « C’est dommage, ajoutait-il, que nos bonzes ne fassent pas la même chose à l’étranger. Le Japon gagnerait peut-être plus vite encore en prestige et en influence. »

Le train arrivait à l’endroit où se rendait le missionnaire. Avant de descendre, celui-ci voulut dissiper ces