Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t1.djvu/562

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

511 CHAPITRE XI. — LBS TRAVAUX ET LES JOURS

Tant s'en faut, elle est seulement concentrée. Au lieu de s'étendre en beaux développements, elle se ramasse dans de courts morceaux, qu'elle anime jusqu'en leurs moindres parties. Par elle, chaque fragment du discours poétique devient quelque chose de vivant et d'individuel, qui intéresse, qui touche, ou qui invite à penser ; et par elle aussi, sans qu'on sache comment, les petites choses grandissent, et d'humbles pensées, en s'ouvrant tout à coup, laissent apercevoir je ne sais quels lointains majestueux.

Les formes mythiques dont l'usage contemporain revêtait si volontiers les pensées morales offraient à ces rares et hautes qualités de précieuses ressources. Aussi les allégories et les légendes divines abondent- elles dans les Travaux. Les plus courtes ne sont pas les moins excellentes. Hésiode sait mettre dans ces morceaux de peu d'étendue tout son bon sens, tout son esprit, et ce genre de grandeur qui lui est propre. Quoi de meilleur en ce genre que le mythe allégo- rique des deux Eris au début même du poème ? Une simple observation de moraliste en fait le fond ; le poète a été frappé d'une certaine ressemblance entre deux choses bien différentes, la saine émulation et la jalousie malfaisante. Les deux sentiments ont même origine, le désir du bonheur, l'aversion ins- tinctive de la souffrance, mais l'un tend au bien natu- rellement et l'autre au mal. Cette observation, il la traduit à sa manière, sous la forme d'une généalogie active, vraiment saisissante, qui place chacun des deux sentiments, transformés en êtres mythiques, au rang qui lui convient; et dans cette généalogie nous admirons à la fois toutes ces qualités poétiques si personnelles que nous venons d'indiquer, la va- riété du ton, les détails ingénieux, les mots élo- quents, la vie, et, plus que tout, cette sorte d'élé-

�� �