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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t5.djvu/131

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TIMÉE.

L’historien, dit Polybe, doit connaître les livres, les lieux, les affaires. Or Timée, de son propre aveu, ignore la guerre et n’a pas voyagé ; il ne connaît que les livres[1]. Il en résulte qu’il commet de monstrueuses erreurs et que, même quand il évite l’erreur matérielle et grossière, son œuvre n’atteint pas à la vérité vivante que donne seule la connaissance des choses réelles, la pratique de la guerre, de la politique, des voyages. Sur ce sujet, qui lui tient au cœur, Polybe entre en verve ; son style, plutôt gris d’ordinaire, s’éclaire d’images. Il compare l’historien de cette sorte, l’homme qui ne sait que les livres[2], à un médecin qui n’aurait étudié les maladies que dans les traités de médecine[3], à un homme qui se croirait peintre pour avoir vu les chefs-d’œuvre des maîtres[4], à un peintre qui, au lieu de regarder la nature, ne travaillerait que d’après des mannequins[5] : celui-là, dit-il, peut arriver à reproduire la forme extérieure et grossière des êtres vivants, mais non la vérité de leur physionomie[6].

Un défaut plus grave encore peut-être de Timée, c’était sa malheureuse passion pour la rhétorique. Il opposait quelque part avec fierté l’art de l’historien, qui a pour objet la réalité, à l’art des rhéteurs, qui, dans leurs discours d’apparat, ne bâtissent que des « décors de théâtre » (σϰηνογραφίαι)[7]. Mais, dans le fait, il leur ressemblait beaucoup plus qu’il ne le croyait lui-même. Il ne songe qu’à louer ou à blâmer[8]. Dans la louange comme dans le blâme, il passe toute mesure. S’il vante

  1. Polybe, XII, 25 h. Cf. ibid., 25 d.
  2. Τοὺς ἀπὸ ταύτης τῆς βυϐλιαϰῆς ἑξεως ορμωμένους (XII, 25 L, 3).
  3. XII, 25, d.
  4. XII, 25 e, 7.
  5. Ἀπὸ τῶν σεσαγμένων θυλάϰων (XII, 25 h, 2).
  6. Ibid., 3.
  7. Polybe, XII. 23 a, 1.
  8. Id., ibid., 7, 1.