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ARISTARQUE

saient les stoïciens. Il l’entend au sens direct et naïf, l’explique par lui-même, et connaît à merveille les textes. Mais cela ne veut pas dire qu’il satisfasse entièrement la science moderne, qui lui trouve souvent le goût timide et l’esprit un peu étroit[1]. C’était, par exemple, une étrange idée que de faire d’Homère un Athénien[2]. Aristarque avait bien vu qu’il y avait de certains rapports entre le génie d’Athènes et celui des poèmes homériques, mais ni le sens de l’histoire ni le goût ne l’avaient averti de la mesure très restreinte où la chose était vraie. C’est qu’Aristarque, en effet, comme tous ses contemporains, fait mal la différence des temps. En outre, il est plutôt un « humaniste » qu’un érudit : il est assez peu curieux de l’histoire. Dans son commentaire sur Pindare, en particulier, cette insuffisance a été relevée par Bœckh avec vivacité[3]. Quoi qu’il en soit de ces réserves (et de celles que nous avons exprimées plus haut sur la possibilité de donner un bon texte d’Homère), l’autorité d’Aristarque fut triomphante dans l’antiquité, et l’Homère que nous lisons aujourd’hui est probablement en grande partie l’Homère d’Aristarque[4]. De nombreux disciples continuèrent sa doctrine et défendirent sa gloire[5], si bien que son nom même est devenu comme synonyme de critique presque impeccable[6].

  1. Cf. Wolf, Prolegomena, p. CCXXXI.
  2. Cf. Westermann, Vilarum scriptores, 2e et 3e biogr. homériques.
  3. Bœckh. Schol. Pind., préface, p. 13.
  4. C’est du moins l’opinion généralement admise. V. cependant chez A. Ludwig et P. Cauer, des conclusions assez différentes.
  5. Suidas rapporte qu’il eut une quarantaine de disciples de son vivant.
  6. Rappelons ici, pour mémoire, deux adversaires d’Aristarque, Xénon et Hellanicos, qui se rendirent célèbres pour avoir été les premiers chorizontes : ils « séparaient », parmi les poèmes homériques l’Iliade de l’Odyssée, et ne laissaient à Homère que le premier des deux ouvrages. Aristarque avait composé un traité Contre le paradoxe de Xénon. Cf. Susemihl, I, p. 453, n. 101, et II, p. 149-150.