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CHAPITRE IV. — LA POÉSIE ALEXANDRINE

devant l’orage[1]. Il se retira à Rhodes, qui lui fit fête, et y passa le reste de sa vie. Il est douteux que son poème fût entièrement composé à son départ d’Alexandrie : dans sa nouvelle retraite, il l’acheva, en publia deux éditions successives, et prit soin de s’y désigner lui-même comme Rhodien, au dire du biographe.

Le poème des Argonautiques comprend quatre livres et près de six mille vers. C’est à peu près la moitié de l’Iliade ou de l’Odyssée ; c’est la mesure demandée par Aristote[2]. Les aventures des Argonautes avaient sans cesse inspiré les poètes ; Homère disait déjà : Ἀργὼ πᾶσι μέλουσα, « Argo qui occupe tous les hommes[3]. » Mais personne n’avait raconté en vers, dans un récit suivi, tout le voyage du navire. Apollonios se donna cette tâche. Dans les deux premiers livres, il dit la réunion des Argonautes, leur départ, leur voyage jusqu’en Colchide ; dans les deux derniers, la conquête de la toison grâce à l’aide de Médée, et leur retour en Grèce. Une foule d’épisodes, de descriptions, de combats s’enchâssent dans l’action et l’enrichissent.

La prétention évidente d’Apollonios était d’être l’Homère de son temps, de donner à la Grèce, en un seul poème, une sorte d’Iliade et d’Odyssée mise au goût du jour. En fait, il marque le terme d’une longue évolution de l’épopée. Au temps des premiers aèdes, l’épopée naïve et passionnée avait été l’histoire merveilleuse de la vie héroïque, saisie dans quelques épisodes dramatiques et vivants. Les poètes cycliques, déjà voisins des premiers logographes, mais encore naïfs et sincères, avaient essayé de relier ces épisodes, de donner un tableau d’ensemble des âges légendaires. Puis étaient venus les premiers poètes savants, un Panyasis, un

  1. Cf. les biographies grecques.
  2. Poét., c. 24.
  3. Odyssée, XII, 70.