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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t5.djvu/252

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CHAPITRE IV. — LA POÉSIE ALEXANDRINE

elles vont trouver Cypris, pour lui demander d’envoyer Éros à la jeune fille. Les déesses n’ont rien de surhumain : ce sont de belles dames d’Alexandrie, élégantes et spirituelles. Cypris est à sa toilette quand les deux autres arrivent. Éros est un enfant gâté, dont sa mère parle avec un gentil mécontentement. On le trouve en train de jouer aux osselets avec Ganymède : Cypris, pour le décider, lui promet un jouet, une sorte de ballon métallique construit jadis par Adrastée pour Zeus enfant. Éros, enchante, range ses osselets, les compte, les jette dans la tunique de sa mère et s’équipe pour sa nouvelle expédition. On voit le ton léger, le badinage spirituel, fort gracieux parfois, mais fort peu épique. Nous sommes beaucoup plus près d’Ovide que d’Homère ou même de Virgile.

Avec l’amour de Médée, tout va changer. Ce n’est pas qu’ici encore le bel-esprit alexandrin ne reparaisse en maint passage, tantôt sous la forme érudite, tantôt sous la forme du « joli » ; mais ces gentillesses passent au second plan et s’effacent ; ce qui domine, c’est un sentiment sincère et fort, une vraie passion, et le caractère du poème s’en trouve modifié profondément. Mais est-ce là, dira-t-on, un sentiment épique, au sens propre du mot ? Non, sans doute, si l’on s’en tient à Homère ; oui, si l’on doit admettre que Virgile aussi, à sa façon, est un grand poète épique : quelle que soit la force des traditions originelles, il est certain que les genres se modifient, et que ces modifications sont légitimes quand elles sont belles. Or Apollonios, en créant sa Médée, a créé une très belle chose. Il a élargi, mais non brisé, le cadre de l’épopée. Il y a fait entrer l’amour, et il a su poindre cet amour avec assez de puissance à la fois pour le rendre digne des grands noms de la légende, et assez de nouveauté pour laisser une trace impérissable[1].

  1. Sur la Médée d’Apollonios, cf., outre les études, déjà citées, de