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CHAP. V. — HELLÉNISME ET CHRISTIANISME

contre, dès qu’il s’agit de faire connaître le christianisme, il se laisse aller, et le développement chaleureux sort vraiment de l’abondance de son cœur. Mais, là même, peu ou point de discussion ; le sentiment domine. Le Judaïsme lui semble une religion basse, servile, formaliste, attachée à des rites. La vraie religion pour lui, c’est la religion de l’esprit et de l’amour ; et voilà justement de quelle nature est le christianisme, celui du moins qu’il conçoit et qu’il exalte avec une véritable éloquence, touchante par son imprudence même :

Les chrétiens ne sont séparés des autres hommes ni par les frontières, ni par le langage, ni par les coutumes. Ils n’habitent pas des villes qui leur soient propres, ils n’ont pas un idiome distinct, ils ne vivent pas d’une vie particulière… Domiciliés dans les villes grecques et barbares, partout où le sort les a placés, s’accommodant aux mœurs locales pour le vêtement, pour la nourriture et pour tous les détails de l’existence, ils se sont constitué une forme de vie étonnante et qui paraît à tous paradoxale. Ils ont chacun une patrie, mais ils y sont comme des voyageurs ; ils participent à tout comme des citoyens, mais ils supportent tout comme des étrangers ; toute terre étrangère leur est patrie, toute patrie leur est étrangère. Ils se marient, ils ont des enfants comme tout le monde, mais ils ne jettent pas ceux qui sont nés d’eux… ; ils sont en chair, mais ils ne vivent pas selon la chair ; ils prient sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel ; ils obéissent aux lois établies, et ils sont supérieurs aux lois par leurs mœurs. En un mot, ce qu’est l’âme dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde[1].

Et il continue ainsi, poursuivant ses antithèses, dures et frappantes. L’antagonisme du christianisme et de l’hellénisme, c’est celui de l’âme et du corps, de l’esprit et de la chair. La révélation par le Messie a apporté dans le monde la lumière que les hommes cherchaient en vain ; Dieu ne les a laissés se tromper si longtemps

  1. À Diognète, c. 5.