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INTRODUCTION.

force se déployant à contre-sens ; ce n’est pas une conquête réelle, c’est une pure déchéance et une vanité d’efforts ; c’est l’affaiblissement, l’abandon, la ruine de cette énergie intime qui maintenait la créature libre dans les limites du bien.

Enfin, peut-on concevoir le mal, même subjectif, et comme accident, sous l’empire de la Providence ? Sans aucun doute. Et d’abord il faut rappeler que le mal n’est pas une réalité distincte, et qu’il n’a de subsistance propre en aucun être. Ainsi le mal n’existant pas sans mélange de bien, tous les sujets dans lesquels il réside ont quelque chose de bon, et à ce titre sont l’objet des soins de la Providence divine : car elle embrasse dans sa sollicitude tout ce qu’elle a produit dans son amour, et tout ce qui est bon à quelque titre vient d’elle. Il y a plus ; elle se sert des choses devenues mauvaises pour leur amélioration, ou pour l’utilité générale ou particulière des autres, et elle pourvoit à toutes, comme il convient à leur nature respective. En un mot, la Providence qui gouverne se conçoit logiquement comme postérieure à la puissance qui a créé, et à l’intelligence qui a présenté les types et raisons des choses. De là vient que Dieu ne violente pas les natures, mais les régit selon les exigences et les besoins dont elles sont essentiellement pourvues. Toujours il verse ses bienfaits avec une libéralité splendide, mais toujours aussi en des proportions qui conviennent à chaque être. Il veille sur les créatures libres, sur l’univers entier et sur chacune de ses parties spécialement, en tenant compte de la spontanéité, de la totalité et des particularités, et selon que les objets sont naturellement susceptibles de ses soins pleins de tendresse. Si donc les êtres libres tombent dans le mal, on ne peut l’imputer à la Providence, qui ne doit pas les entraîner forcément à la vertu, puisque leur nature sollicite une législation de liberté, et non pas une tyrannique nécessité ; on ne peut l’imputer à la Providence qui prévient d’ailleurs par des grâces suffisantes la détermination de ses créatures. Parce