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IX. — PHILOSOPHIE AFGHANE

une tasse de thé ; il accepta, puis devint visiblement uneasy ; il ne pouvait tenir sur sa chaise ; il jetait des regards inquiets sur la porte, et quand il vit paraître le khidmatgar avec la coupe et la soucoupe, il se leva et me pria de l’excuser ou de le laisser au moins prendre le thé dans la cuisine avec son coreligionnaire le khidmatgar. Là-dessus, il me confia que pour lui-même il ne voyait aucun mal à accepter le thé d’un Firanghi, ni même à manger à sa table, pourvu, bien entendu, qu’il n’y eût ni viande impure ni liqueur. Mais un jour, étant au service de ce pauvre capitaine Wiseman, qui fut tué dans la dernière guerre, il tomba malade, et le capitaine le soigna comme un frère. Or, quand il fut rétabli et rentra dans son village, il fut mis en quarantaine pour avoir partagé le menu d’un Firanghi. Son père, qui a cent ans et qui est le plus grand théologien du pays, le défendit, Coran et hadis en mains, et tint tête à tous les mollahs des deux côtés de la frontière ; il les écrasa sous les textes, il leur ferma la bouche et prouva démonstrativement qu’un bon Musulman peut manger à la table d’un Firanghi, pourvu qu’il n’y ait ni viande impure ni liqueur forte ; et, depuis ce jour, Séid Omar, ayant établi son droit, s’est juré de n’en jamais user, parce que, voyez-vous, quand on a prouvé une