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XI. — ABBOTTABAD ET LA VIE DE GARNISON

pagnie du juge assistant, M. Parsons. Parmi les prisonniers se trouvait un nommé Mohammedhji, condamné à six mois de prison pour avoir, dans une rixe, cassé la jambe d’un Hindou. Mohammedji est poète ambulant et de plus il est fou : il se croit roi. C’est un habitué de la geôle qu’il a souvent visitée et qu’il visitera souvent encore, si Dieu lui prête vie. Voici une de ses chansons qui, à elle seule, aurait dû lui en ouvrir les portes, petit chef-d’œuvre de mièvrerie et de passion, « moitié Baudelaire[1], moitié Cantique des Cantiques » :

Hier soir je me suis promené dans le bazar des tresses noires ; j’ai fourragé, comme une abeille, dans le bazar des tresses noires.

Hier soir, je me suis promené dans le bosquet des tresses noires ; j’ai fourragé, comme une abeille, dans la volupté des grenades. J’ai enfoncé mes dents dans le menton vierge de ma tendre amie : j’ai aspiré le parfum de la guirlande au cou de ma reine, le parfum de ses tresses noires.

Hier soir, je me suis promené dans le bazar des tresses noires ; j’ai fourragé, comme une abeille, dans le bazar des tresses noires.

— Tu as aspiré le parfum de ma guirlande, Ô mon ami, et c’est pour cela que tu es ivre. Tu t’es endormi comme Behram sur le lit de Sarasia : mais, après cela,

  1. Voir La Chevelure (Fleurs du mal, xxix).