Page:Darmesteter - Lettres sur l’Inde, à la frontière afghane.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224
LETTRES SUR L’INDE

scandalise singulièrement ses coréligionnaires hindous et leur rappelle trop bien qu’il n’a renoncé que depuis peu au Lamaïsme et à ses impuretés. Le Gourkha fume comme un Anglais ; il mange du buffle et du porc ; il fait ses ablutions en deux minutes, avec de l’eau plein le creux de la main. Il a un profond dédain pour les gens de l’Inde et ne fraie qu’avec Tom Atkins. Petit, trapu, avec les paumettes saillantes, les yeux à fleur de tête, le nez plat du Mogol, le regard bête et bon enfant, toujours prêt à saluer le Sahib qui passe, on ne se douterait jamais, à le voir marcher en se balançant lourdement comme un paysan breton mal dégrossi, que c’est le tueur le plus effrayant de l’Inde et que, une fois lancé dans la bataille, le kirki à la main, la voix de l’officier et le clairon de la retraite seront impuissants à l’arracher à la besogne sanglante.

Les Sikhs sont de tout autres hommes ; grands, forts, crinière de lion, fiers et calmes. Ce ne sont pas des bêtes fauves comme les Gourkhas ; mais ils sont nés soldats. Ils se font tuer sur leurs pièces en silence et sans reculer d’un pas. Ils savent agir par masse : ils ont l’esprit de la phalange. Dans la conquête de l’Inde ce sont les seuls adversaires qui n’aient point lâché pied devant les Anglais, ec il fallut pour les dompter la trahison de Tej Sinh, le Bazaine Sikh. Les