Page:Darmesteter - Lettres sur l’Inde, à la frontière afghane.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XXI
PRÉFACE

Ce n’est qu’un noble rêve de poète. L’Inde n’est point de ces conquêtes qu’un pays comme l’Angleterre abandonne sur la foi de principes évangéliques ou philosophiques. Que deviendraient les quelques milliers de jeunes gens qui chaque année rentrent dans le civil service et dans l’armée des Indes, avec la perspective d’une pension de 15 ou 20,000 francs après vingt-cinq ans de service ? Puis, le premier acte de la nation indienne serait de se barricader derrière une ligne de droits protecteurs : les Anglais de l’Inde sont déja protectionnistes. Que deviendraient les marchands de Manchester ? Le Congo et le Niger leur fourniront-ils jamais un marché de chair à vêtir décemment aussi abondant et aussi riche, et ils mourront sur leurs balles de marchandises en maudissant M. Cotton et Bhararavarshini. Une difficulté plus grave encore et insurmontable, c’est que l’unité de l’Inde craquerait une minute après que le vice roi qui la constitue aurait quitté son palais de Calcutta. Faire une nation avec le belliqueux Penjabi, le Sikh indomptable, le Bengali bavard et timide ; avec le Musulman fanatique, qui a une foi pour laquelle tuer et mourir, et le faible Indou qui n’a que des rites et des momeries, c’est vouloir faire une nation avec des troupeaux de moutons et de loups : tant que le chien de berger est là, les loups peuvent se tenir tranquilles et les mou-