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XIV. — DE LAHORE À PARIS

Azim-eddin me reçoit dans le Khorshed Manzil ou Palais du Soleil, qui est réservé aux invités européens. Malgré son nom oriental, le palais est plus européen qu’oriental ; il est paré ou déparé d’une abominable galerie de tableaux allemands (où l’art allemand ne va-t-il pas se nicher ? N’était-ce pas assez de le retrouver installé à Constantinople, dans le palais du Sultan ?) : mais le Jardin Sans Pareil fait tout passer. Au retour d’une promenade au Sans Pareil, Azim-eddin me fait chanter le chant national des Rohillas par le Souroudi ou héraut d’armes, un Taillefer afghan : c’est la chanson de la grande victoire afghane, la Bataille de Panipat, où passe le défilé homérique de tous les héros afghans. Le Souroudi, qui n’a en mains que son Souroud, est plus redouté que nul guerrier ; quand il chante en tête de la bataille, nul n’oserait fuir, car il connaît la Kheil[1] de chacun et flétrirait le lâche à tout jamais. Hélas ! tout cela n’est plus qu’une tradition vide : les Rohillas ont oublié leur langue, le Souroudi ne comprend plus ce qu’il chante, pas plus que ceux qui l’écoutent : mais l’accent est resté et suffit encore pour mettre en feu le cœur des Rohillas : la parole morte a des échos plus puis-

  1. La tribu.