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LES DEUX TESTAMENTS

Comme il l’avait deviné, c’était son oncle qui l’attendait.

Il avait l’air énervé et plus sérieux que d’habitude et un crêpe se voyait à son chapeau qu’il tenait en main.

Mais l’enfant ne fit pas attention à ces détails. Dominé par une seule idée, celle que son oncle allait le ramener à la ville, il s’élança vers lui avec une affection qu’il n’avait jamais manifesté avant. Mais quelque chose dans le regard du veuf lui fit peur, et le retint.

Ce quelque chose n’était ni de la méchanceté, ni de la dureté, c’était plutôt une expression de trouble et même de crainte, et le jeune orphelin eut comme un pressentiment de malheur.

L’enfant resta donc pâle et saisi, devant son oncle. Celui-ci essaya de commencer une phrase plusieurs fois, mais il ne réussit pas et semblait de plus en plus embarrassé. Enfin il se tourna vers le frère directeur d’un air suppliant qui semblait dire.

— Je ne peux pas, parlez-lui, vous.

Le frère Jérome comprit sans doute, car il dit alors, avec une voix qu’il essaya d’adoucir.

— Mon pauvre enfant ; ton oncle est venu t’apprendre une mauvaise nouvelle.

L’enfant ne sembla pas comprendre et resta là, transi et troublé.

Le frère continua.

— Le bon Dieu nous éprouve beaucoup, parfois. Il faut savoir se soumettre à sa volonté.

Et il s’arrêta encore. Au bout d’un instant, il reprit. — Mon enfant, ta pauvre grand-mère est morte. Le bon Dieu l’a rappelée.

II n’eut pas le temps d’achever sa phrase, car l’enfant tomba lourdement par terre, pris d’une syncope qui ressemblait à la mort.

Tous deux s’élancèrent à la fois pour le relever, et firent quelques efforts pour le ramener à lui-même, mais il restait sans vie et sans couleur. Le directeur dût appeler des autres frères, qui vinrent en hâte et apportèrent le petit à l’infirmerie pendant qu’on allait chercher le médecin.

Le frère Jérome resté seul avec le veuf, continua à converser et se fit expliquer bien des détails qu’il n’avait pas appris sur la vie passée du petit Joseph.

Selon son habitude le veuf sût mêler habilement le mensonge à la vérité et insinua sans toutefois le dire ouvertement, que le jeune orphelin n’avait pas grand chose à hériter de sa grand-mère, qui n’était