Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
LES DEUX TESTAMENTS

té, il aurait été bien difficile de lui faire changer d’idée.

Le petit Joseph se trouvait donc sans amis, dans cette vaste école, et il le sentait, ce qui ne le rendait pas plus aimable, ni plus gai. Au contraire, il devenait de jour en jours plus triste et plus découragé, et les leçons en souffraient, car ils sont rares les enfants qui étudient pour l’amour de l’étude.

Il leur faut l’ambition, l’espérance des récompenses, les encouragements de leurs maîtres et de leurs parents, et le petit Joseph n’avait rien de tout cela.

Au lieu d’étudier, il rêvait. Sa pensée volait loin, bien loin, vers la demeure de sa grand-mère ; il se voyait encore dans la grande salle, assis sur un tabouret au pied de la seule personne qu’il aimait au monde ; elle lui racontait des contes, ou lui chantait des vieilles complaintes qu’il aimait. Ou bien il se promenait sur la rue ombragée devant la maison et jouait avec les petits camarades avec qui il s’était toujours bien accordé.

Quelquefois, il lui semblait que le veuf allait revenir pour lui dire que sa grand-mère le demandait, qu’elle s’ennuyait trop sans lui, et qu’il fallait qu’il partît tout de suite.

Toujours rêvant, il reprenait le train qu’il l’avait amené.

Oh, comme il allait vite, le train !

Il était déjà sur le pont Victoria, il le traversait ; enfin, il arrivait devant la maison. Il ouvrait bien vite la porte et il allait se jeter au cou de sa mémère qui lui disait en pleurant qu’elle ne le renverrait plus jamais, jamais.

— Joseph Allard ! criait une voix sévère.

Et il s’éveillait soudain de sa rêverie pour se retrouver dans la grande et aride salle d’étude au milieu des élèves moqueurs et désagréables, et en face du maître qui lui posait une demande à laquelle il ne savait plus que répondre, dans son trouble, bien qu’il eut peut-être étudié sa leçon avec attention, quelques heures avant.

Alors, on le punissait de ce qu’on appelait sa paresse, le privant de sa recréation.

C’est ainsi qu’il était ce jour-là, seul et triste dans la salle d’étude, pendant que ses autres camarades s’amusaient.

Un bruit de pas résonna dans le corridor, la porte s’ouvrit et un des frères entra.

— Vous êtes demandé au parloir, dit-il, venez tout de suite.

Et l’enfant, surpris et pâle, mais rempli d’espérance soudain, suivit le frère et se rendit au parloir.