Page:Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/28

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tour, suivant l’accent avec lequel ce nom : Emmelina, était prononcé le matin par la grosse Jeanne, la femme de confiance, à son sortir de la chambre sacrée.

La passion de tous ces honnêtes gens pour l’être chéri n’était pas identique, de même valeur et de même poids.

M. Irnois faisait peu de bruit de son affection, n’en parlait jamais que je sache, mais la ressentait plus vivement, plus sérieusement que personne. La seule manière dont il manifestât son amour pour sa fille était de ne pas la rudoyer comme il faisait les autres. Il aimait Emmelina sans trop le savoir ; et comment l’aurait-il su, lui qui, de sa vie, n’avait réfléchi ni aux choses, ni aux hommes, ni à lui-même ? Sa fille ne pouvait l’empêcher d’être maussade, mais elle pouvait le rendre vingt fois plus désagréable qu’il n’était d’ordinaire, et cela, par le seul fait que, le matin, il n’aurait pas été réveillé par un rapport satisfaisant sur l’état de santé d’Emmelina : bref, il l’aimait passionnément.

Madame Irnois, de tempérament calme, que dis-je ! glacial, et n’ayant de sa vie éprouvé la moindre sensation vive (sans quoi elle n’eût jamais voulu entendre parler d’épouser Monsieur son mari), Mme Irnois passait une grande partie du jour à tenir sa fille sur ses genoux, à l’embrasser, à la caresser, à lui dire tous les riens que lui présentait son imagination. Ces riens n’étaient pas jolis, ils n’étaient pas variés, surtout ils n’avaient rien de spirituel. Mme Irnois était aussi complètement nulle que peut l’être une bourgeoise vieille, laide et ignorante ; mais