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EN-NOWEIRI.

excessive, on en fut tellement accablé que les soldats des deux côtés ne pouvaient plus soutenir le poids de leur armure, et encore moins combattre. Ils retournèrent donc à leurs tentes, déposèrent leurs armes et se jetèrent sur leurs lits, après avoir attaché leurs chevaux. Alors les braves des musulmans se levèrent sur l’ordre d’Abd-Allah [-Ibn-Sâd], et ayant endossé leurs cottes-de-mailles, ils montèrent à cheval dans leurs tentes. Abd-Allah-Ibn-ez-Zobeir sortit avant les autres, habillé comme un ambassadeur, ayant passé une robe par-dessus son armure, et se dirigea vers l’ennemi, après avoir ordonné à ses guerriers de charger comme un seul homme lorsqu’ils le verraient près du camp grec. Quand il allait y arriver, les musulmans poussèrent des cris d’Allah akber ! (Dieu est grand !) la ilaha illa ’llah ! (il n’y a d’autre Dieu que Dieu !) et fondirent sur l’ennemi avec tant d’impétuosité qu’il ne lui laissèrent pas le temps de s’armer et de monter à cheval. Les Grecs[1] furent mis en déroute et on en tua un nombre immense ainsi que leur chef. Le reste se sauva dans la ville. Les musulmans pillèrent le camp ennemi et firent prisonnière la fille du prince. On l’amena devant Ibn-Sâd qui demanda ce qu’était devenu son père. « Il est mort, » répondit-elle. — « Savez-vous, dit-il, qui l’a tué ? » — « Je le reconnaîtrais si je le voyais, » fut la réponse. Or, il y avait plusieurs musulmans qui, tous, prétendaient l’avoir tué ; mais, quand on les présentait à la fille du prince, elle disait que ce n’était aucun de ceux-là. On fit alors venir Ibn-ez-Zobeir, et comme elle le reconnut pour être celui qui avait tué son père, Ibn-Sâd dit à ce chef : « Quel motif t’a empêché de nous informer, afin que nous puissions te donner ce que nous avons promis ? » — « Que Dieu te dispose au bien ! lui répondit Ibn-ez-Zobeir ; ce n’est pas pour obtenir ce que tu as promis que je l’ai tué, mais bien pour plaire à celui qui sait ce que j’ai fait, et m’en donnera une récompense plus excellente

  1. Ibn-Abd-el-Hakem emploie le mot Roum pour désigner les Grecs, mais Ibn-er-Rakîk, l’auteur mis à contribution par En-Noweiri, s’en sert pour désigner les chrétiens de toute nation, et surtout les Latins. Encore aujourd’hui, les musulmans de l’Afrique septentrionale donnent aux chrétiens le nom de roumi.
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