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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Esterhazy. Je fis de même. Le poète Jules Barbier et Pressensé[1] envoyèrent leur démission au grand chancelier ; le Conseil déclara la lettre de Barbier « non avenue », parce qu’un légionnaire, aux termes des statuts de l’Ordre, ne peut pas démissionner[2], et fit momentanément le silence sur celle de Pressensé qui contenait cette phrase : « Il me répugnerait de continuer à m’orner la boutonnière d’un petit morceau de ruban rouge devenu le symbole du mépris de la légalité. »

Drumont exigea[3] le départ de Lépine, des magistrats d’Alger qui avaient fait leur devoir dans les émeutes contre les juifs ; Brisson les sacrifia[4], bien qu’il ne fût nullement antisémite et qu’il comptât de nombreux amis personnels dans Israël.

L’abus de la force, les capitulations devant la démagogie catholique, tout cela s’était déjà vu. Dans l’abaissement des temps, ce qui démontra le progrès des esprits, ce fut que de tels actes, bien médiocres en comparaison des crimes d’autrefois, ne se perdirent plus dans le silence.

L’Université, surtout le haut enseignement, fermentait ; les protestataires, d’abord isolés, étaient maintenant la majorité. Tous ces hommes, scientifiques ou littéraires ou philosophes, généralement républicains, sentaient que cette bataille, où les généraux et les poli-

  1. Barbier par lettre du 28 juillet, Pressensé le 29.
  2. Note du 30 juillet.
  3. Il fit une démarche, dont les journaux rendirent compte, avec ses collègues Morinaud, Firmin Faure et Marchal pour « réclamer hautement de Brisson le rappel immédiat de Lépine. » (6 juillet 1898.) La veille, Max Régis écrivait dans la Libre Parole : « Ce n’est pas une grâce que nous demandons à votre justice hésitante. »
  4. Il remplaça Lépine par Laferrière, vice-président du Conseil d’État.