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CAVAIGNAC MINISTRE


ticiens suivaient les moines, était surtout contre eux ; et plus encore que la faillite temporaire de la justice, ils ressentaient celle de la morale, de tout ce qu’ils avaient mission d’enseigner, logique, examen, vertus civiques. Si beaucoup s’en taisaient, presque tous en souffraient d’une douleur contenue, d’autant plus cruelle, qui finit par faire explosion.

Aux obsèques du recteur de la Faculté des lettres de Bordeaux, deux hommes parlèrent : le doyen Stapfer et le mort lui-même. Stapfer, prononçant l’éloge de Couat, dit qu’il ne pensait pas pouvoir l’honorer davantage qu’en rappelant sur sa tombe ses angoisses dont il avait été le confident : « Couat éprouvait une véritable terreur devant les violences sectaires, devant la confusion et le désarroi de toutes les idées égarées par un vent de déraison furieuse[1]. »

Couat était de ces esprits délicats qui taisent leurs douleurs intimes, mais en meurent. Le martyre de Dreyfus, l’éclipse des idées de justice, tant de républicains tyrannisés « par la peur basse de l’impopularité », ces visions l’avaient hanté jusqu’à sa dernière heure. Peu de jours avant sa fin[2], il écrivait à Trarieux : « Le devoir professionnel ne m’a jamais paru si pénible qu’en ces jours où il m’impose un silence qui est une sorte de mensonge et de complicité. » Il était mort désespéré : « Quand la statue du Droit gît à terre brisée, suffit-il d’avoir le droit pour soi ? »

Dès que Bourgeois connut le discours de Stapfer qui, par deux fois, parlant comme doyen, sub togâ avait

  1. 23 juillet 1898. Quelques professeurs allèrent, en signe de protestation, serrer la main du général de Varaigne.
  2. 12 juillet.
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