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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Salies, et très orthodoxe ; puis, le jour où l’étude, la réflexion et, comme il disait, « l’expérience morale », le détachèrent des vieilles croyances, il déposa aussitôt sa robe, non sans tristesse, parce que c’était son devoir, et se sépara, « par religion, lui le plus religieux des hommes, de la religion[1] ». Enfin, après vingt années d’une inlassable propagande pour son idéal, qui n’était plus le protestantisme, mais le christianisme le plus épuré qui fût jamais depuis l’Évangile, et comme il avait déjà pris sa retraite au pays natal, le profond connaisseur d’hommes qu’était Jules Ferry l’appela à la direction de l’École normale supérieure de Fontenay.

Telle qu’elle sortit de ses mains et avec l’empreinte qu’il lui laissa, on a comparé souvent cette école à Port-Royal. Rapprochement honorable entre tous, mais qui n’est pas tout à fait exact. Au contraire du cloître janséniste, Fontenay est une ruche ; c’est la vie qui en sort.

Pécaut, quand il eût achevé son chef-d’œuvre[2], se retira de nouveau dans son Béarn, ; et c’était là, depuis dix mois, que l’Affaire était venue le trouver. Il courut à Paris, vers le début du procès Zola, rencontra Séailles chez leur ami Steeg, un autre éducateur, et fut convaincu. Il avait été, dès 1894, tourmenté de doutes clairvoyants, un revisionniste en puissance. Tout brisé qu’il fût par les tortures de la phtisie, et se sachant condamné, il devint un militant. De son lit de moribond à Ségalas, il suivait les événements avec une lucidité

  1. Buisson, discours aux obsèques de Pécaut. Il rappelle l’un des principaux ouvrages de son ami, le Christ et la Conscience, « livre sérieux, grave, dont les conclusions paraissent toucher à l’impiété ».
  2. Voir son livre sur l’Éducation nationale, dont il mit en pratique les principes, et ses Lettres de Province, qui parurent dans le Temps.