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CAVAIGNAC MINISTRE

Cavaignac feignit de ne pas entendre ; d’ailleurs, à la différence de Bourgeois, il n’était pas suspect à Drumont.

La mesure prise par Bourgeois contre un des maîtres les plus aimés de la jeunesse provoqua mieux que des colères.

XVII

L’un des plus nobles éducateurs de la démocratie, le plus fécond peut-être, puisqu’il avait consacré les dernières années de sa vie à créer des éducatrices laïques, c’est-à-dire à arracher l’âme de la femme de demain, l’avenir lui-même, à l’ignorance et aux superstitions grossières, Félix Pécaut venait de mourir. On voudrait s’arrêter plus longtemps à cette touchante figure, rien que pour oublier un instant les autres qui grimacent dans ce récit. Nulle vie plus pure, dans ce grand siècle troublé, que celle de cet initiateur moral, de cet « anachorète de la conscience », comme on le nommait, qui avait le corps émacié et frêle d’un ascète et dont le moyen âge, s’il ne l’avait brûlé, eût fait un saint. Un de ceux qui l’ont connu le mieux a dit de lui « que la vie physique parut toujours chez Pécaut réduite à un minimum comme pour mieux laisser éclater sa vie intérieure[1] ». Cette vie intérieure jaillissait de ses yeux enfoncés et doux. D’une vieille famille huguenote de ce Béarn où les hommes ont la solidité et la délicatesse de leurs Pyrénées, la transparence et la fougue de leurs gaves, il fut d’abord pasteur à son village de

  1. André Sabatier, dans le Temps du 2 août 1898.