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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


génie du développement qui est l’éloquence, il le doubla par le talent de démontrer, qui est le propre des mathématiciens et des métaphysiciens. Il n’avance rien qu’il ne le prouve ; il ne prouve pas par des hypothèses, même les plus séduisantes, mais par des faits qu’il a contrôlés avec soin ; ces faits, il les prend tels qu’il les trouve, sans y ajouter et sans en retrancher ; il raisonne seulement par syllogismes. S’il n’avait pas écrit sa thèse, De la réalité du Monde sensible, il n’aurait pas écrit les Preuves ; ou bien, elles eussent été moins convaincantes, moins décisives sur l’esprit de milliers de lecteurs ; elles n’eussent pas troublé les nuits de Brisson.

Car l’inquiétude de Brisson grandissait. Vallé, tous les matins, le trouvait plongé dans la lecture des journaux, incapable de se détacher de l’obsédante pensée, préoccupa surtout, lui juriste, de la communication secrète. Il croyait toujours, d’après Cavaignac, que le crime de Dreyfus était prouvé, cent fois prouvé ; pourtant, si on avait fait cette chose énorme de juger sur des pièces inconnues de la défense !

L’avocat Salle venait d’en convenir à nouveau, par prétérition, dans une pauvre lettre tremblante à Arthur Meyer. Malmené par le juif du Gaulois comme le « complice » de Zola, malgré son pitoyable silence à la cour d’assises, il écrivit, pour s’excuser, « qu’il ne croyait pas à l’innocence du condamné », mais sans souffler mot des pièces secrètes[1].

  1. Le Gaulois avait accusé Salle d’avoir « apporté des obstacles » à la fête du drapeau du 131e de ligne, célébrée à Maisons-Laffitte, ce qui ne pouvait étonner personne : « On se rappelle l’intervention de M. Salle au début du procès Zola. » Telle était alors la terreur qu’inspirait la presse que Salle écrivit aussitôt sa lettre d’excuse, (1er août 1898.) — Arthur Meyer savait à quoi s’en tenir depuis le lendemain du procès de 1894. (Voir t. II, 175).) Le Gaulois, à plusieurs reprises, avait