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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


les donner : « Les quadrillages des fragments de papier sont de nuances différentes. »

Henry aperçoit enfin sa méprise, la sotte inadvertance qui l’a perdu. Trébuchant, se roidissant, il cherche à savoir : « Quels sont les morceaux qui auraient été intercalés ? — Je ne vous demande pas de me poser des questions, mais de me répondre : Vous avez fabriqué toute la lettre ? — Je jure que je n’ai pas fabriqué la lettre. — Vous ne voulez pas dire la vérité ? — Je ne peux pas vous dire que je l’ai écrite en entier. La première lettre, je l’ai trouvée ; je n’ai ajouté que la fin de la seconde. — Tout ce que vous avez pu recevoir, c’est l’en-tête et la signature. — J’ai reçu la première partie. — Ou vous n’avez rien reçu du tout. » Il s’obstine encore ; Cavaignac : « Vous aggravez encore votre situation par ces réticences. — J’ai agi pour le bien du pays. » Le ministre : « Ce n’est pas ce que je vous demande. » Henry se débattant encore : « Quand j’ai eu la première partie… — Ce n’est pas possible ; je vous répète que c’est écrit sur la pièce ; vous ferez mieux de tout dire. — Alors, vous êtes convaincu que c’est moi ? »

Il dut jeter alors un regard de désespoir vers les trois généraux, Gonse et Boisdeffre, pâles comme des morts, Roget qui écrivait toujours. Il se sentit acculé, se rendit.

Cavaignac : « Dites ce qui est ; vous avez reçu l’enveloppe et l’en-tête ? — Oui, j’ai reçu l’enveloppe et l’en-tête. — Qu’y avait-il ? Rien que : « Mon cher ami » ? — Henry, d’un dernier effort de mensonge ; « Je vous l’ai dit, la première partie… — Il n’y avait rien que : « Mon cher ami ». Vous vous mettez, je le répète, dans la plus mauvaise situation. » Henry, « de plus en plus troublé et hésitant[1] » : « Voici ce qui

  1. Procès verbal, 103, observation de Roget.